Dans une société où le dialogue est de plus en plus difficile, nous avons souhaité créer un espace d'échange d'idées et d'opinions pour permettre la réflexion. Notre ambition étant de vous donner "du grain à moudre", avec deux personnalités du monde chrétien aux sensibilités différentes, Jonathan Peterschmitt et Raphaël Anzenberger, qui s'attaqueront à des sujets de société en lien avec l'actualité. Ce mercredi, ils débattent sur le sujet de l'école.
L'école est aujourd'hui un sujet de débat, notamment chez les chrétiens. Certains voient un véritable danger dans l'école de la République et ses principes de plus en plus libéraux, tandis que d'autres sont plus mesurés. Raphaël Anzenberger vous donne son avis.
Si l’école républicaine dérange une frange conservatrice de l’évangélisme français, c’est à cause de sa prétention à former des esprits libres, quitte à s’inscrire en opposition avec l’instruction familiale. Une opposition qui puise dans une logique de séparatisme spatial (intime, privé, public, service public) et temporel (séculier, sacré). L’école, c’est public et séculier ; la famille, c’est privé et sacré.
Dans quelle sphère situer l’instruction ? Le choix semble cornélien. Pencher du côté de l’école, serait accepter que nos enfants soient confrontés à d’autres voies, en particulier éthiques. Pencher du côté de la famille, c’est prendre le risque d’isoler l’enfant du monde qu’il est appelé à transformer.
J’ai vécu une partie de ma vie aux Etats-Unis. Face à la montée en puissance des doctrines darwiniennes dans les sciences sociales à la fin XIX, une partie de l’évangélisme conservateur américain a fait le choix de se retirer du monde universitaire pour fonder des écoles privées évangéliques qui reprendrait la main sur le cursus scolaire. Un siècle plus tard, le même évangélisme souhaite repartir à la conquête des universités pour y contrer le sécularisme. Cherchez l’erreur.
La question se pose : comment transformer un monde duquel on a choisi de se retirer ?
Argumenter ainsi en opposant l’instruction en famille à l’instruction à l’école, c’est renforcer cette logique du séparatisme spatial et temporel qui n’est qu’une construction sociologique de nos sociétés modernes. C’est alimenter la bête, en pensant l’annihiler. Pire, c’est absolutiser la République, en lui donnant un caractère sacré : étatiser l’espace public en le confondant avec service public. Cela n’a pas de sens.
J’ai grandi dans l’école de la République. J’y ai côtoyé des amis de toutes confessions, de tous horizons éthiques. Lors des conflits israélo-palestiniens par exemple, j’ai vu la caisse de résonance que cette mixité provoquait au sein de la classe. Confession juive d’un côté, confession musulmane de l’autre, et moi au milieu découvrant un monde géopolitique qui dépassait l’écran télé. Fascinant.
J’ai eu des profs libéraux, d’autres plus conservateurs. Je me suis drôlement fâché avec ma prof de français qui traitait les croyants d’idiots en attendant Godot. J’ai levé la main dans un moment d’insouciance : "Je vous prierais de montrer plus de respect envers ceux qui croient, Madame." Sentence de mort. Puis on est devenu meilleurs amis. Quand je l’ai revu après plusieurs années dans un bus, elle se lamentait : "Il en faudrait plus de votre trempe qui ose contredire. Je m’ennuie en classe".
"Seul le Christ est votre Seigneur. Honorez-le comme tel dans vos cœurs et consacrez-vous entièrement à lui. Si l’on vous demande des explications au sujet de votre espérance, soyez toujours prêts à la justifier courtoisement et dans le calme, avec modestie et respect. Veillez à garder votre conscience pure, pour que ceux qui disent du mal de votre bonne conduite découlant de votre communion avec le Christ aient à rougir de leurs calomnies. Il faut les confondre sur le terrain même où ils vous attaquent." (1 Pi 3.15)
Seul le Christ est notre Seigneur. Jésus est au-dessus de l’intime, du privé, du public et du service public. Il est Seigneur partout, dans le sacré et le séculier. Se retirer de l’école républicaine, c’est abandonner le terrain sur lequel nous devons confondre nos détracteurs. Un terrain sur lequel il est bien présent puisqu’il y règne.
Prendre le pari de former une nouvelle génération de leaders qui se réveilleront un siècle plus tard en se demandant où sont les évangéliques dans l’espace public ? Sans moi.
Raphaël Anzenberger est dirigeant évangélique, conférencier et auteur. De formation universitaire en économie, philosophie et théologie, il intervient régulièrement sur le développement des spiritualités contemporaines en contexte sécularisé. Il est président de imagoDei.
Découvrez l'opinion de Jonathan Peterschmitt sur le même sujet en cliquant ici.